jeudi 27 novembre 2008

Le français de Tuyêt-Nga Nguyên


Interview de Tuyêt-Nga Nguyên.

Lorsque, à 18 ans, j’ai quitté le Viêt-Nam pour venir poursuivre mes études en Belgique, j’ignorais que je ne le reverrais pas avant une trentaine d’années. Retrouvailles émouvantes quand le cœur reconnaît ce que les yeux ne voient pas. Retrouvailles étranges quand, muni d’un visa de tourisme pour revenir sur la terre où l’on est né, on se sent à la fois son enfant et son invité.

Ainsi sont les aléas de l’Histoire laquelle, comme pour se rattraper, m’a fait entre-temps découvrir d’autres terres en me conduisant en Amérique et en Afrique où j’ai vécu pendant de nombreuses années avant de revenir m’établir à Bruxelles.

Aujourd’hui citoyenne belge par adoption, je compte en vietnamien, pense en français, parle le vietnamien avec l’accent français, le français avec l’accent belge et mon anglais reflète le tout, à l’image, sans doute, d’une écriture née des aléas de l’Histoire, justement. Quand le blues me prend, j’ai peur que mon nouveau pays ne s’évapore, comme l’ancien. Mais ça, c’est une autre histoire.

Un extrait du livre – lecture par Joachim Salinger

tilidom.com


Les courts extraits de livres : 16/09/2008

Il sort un calepin pour noter. J'en profite pour l'examiner de plus près.
Il me plaît beaucoup, avec sa silhouette grande et mince, ses épais cheveux bruns coupés courts, son nez pas trop long et, surtout, ses mâchoires carrées. C'est très important pour un homme d'avoir des mâchoires carrées car elles dénotent deux qualités essentielles : la volonté et la droiture. Je n'invente rien du tout. Il n'y a qu'à demander aux parents qui cherchent des maris pour leurs filles : les prétendants qui en sont pourvus auront toujours une longueur d'avance sur les autres. Même chose quand il s'agit de trouver des associés pour travailler ensemble. En fait, même chose pour tout et partout. L'affaire est conclue depuis belle lurette et inscrite dans le ciel depuis que le ciel existe. Les liseurs de physionomie dignes de ce nom sont absolument d'accord là-dessus.
Il a fini et range son calepin. Lorsqu'il relève les yeux, je remarque que leur couleur a changé et que, de bleu, elle a viré au gris. C'est comme la mer : bleue au soleil et grise sous la tempête. Ça, je peux l'affirmer toute seule parce que j'ai habité à Cap-Saint-Jacques, une ville avec les pieds dans la mer, comme dit Maman.
Peut-être est-il triste, comme moi. Peut-être parce qu'on va se quitter.
Je sais que je dois le remercier et lui dire au revoir, mais ma langue me désobéit.
- Ça veut dire neige... Tuyêt, ça veut dire neige.
Il lisse ma frange.
- C'est très joli et cela te va très bien.
J'ai envie que tout s'arrête, tout, sauf le toucher de sa main sur mes cheveux. Que tout disparaisse, tout, sauf lui et moi et le ciel vêtu de bleu et les oiseaux qui chantent. Mais puisque cela n'est pas possible, alors, que tout puisse recommencer, même à distance, même en son absence.

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